J’ai été diagnostiquée d’un cancer du sein triple négatif stade 3 avancé localement en mars 2020, en plein au début de la pandémie. J’avais 31 ans.
C’est mon conjoint qui a découvert la masse en premier, en janvier environ, il me disait souvent qu’il avait l’impression que j’avais une bosse sur le sein. Je n’y prêtais pas trop attention et lui répondais souvent que non, il n’y avait rien. Je ne voulais pas y croire, en fait. Je la sentais pourtant, mais sans vouloir la sentir. J’avais quand même été voir le médecin à cette période-là : elle m’avait examinée, mais n’avait rien senti. Elle m’avait dit de surveiller s’il y avait des changements ou si ça ne disparaissait pas, et de l’appeler si je voyais quelque chose d’anormal. Je me suis donc dit que si elle, la professionnelle, n’avait rien vu, il n’y avait certainement rien. Ça me confortait, même si je restais tout de même inquiète au fond de moi.
Quand j’ai réalisé que la masse ne partait pas, je savais que c’était un cancer. C’était une évidence. Pourtant, il n’y avait aucun cas dans ma famille, et on se dit toujours que ça n’arrive qu’aux autres. Sauf que là, c’était bien de moi qu’il était question. Ce n’était pas douloureux au début, mais en quelques semaines,ça avait grossit rapidement, et juste avant les traitements, une des masses était rendue grosse comme une balle de golf. Quand je dormais sur le côté, c’était inconfortable, c’était donc impossible de penser à autre chose et de bien dormir. J’y pensais constamment, ça me hantait.
Et puis la pandémie est arrivée et j’ai dû partager mes inquiétudes avec mon médecin par téléphone puisque tout était fermé. C’était la première semaine officielle de la pandémie, quand le monde a arrêté de tourner. Mon cancer, lui, n’arrêtait pas. C’était très frustrant. Ma médecin était tout de même surprise et elle m’a posé plusieurs questions, et m’a rappelé que vu mon âge, il n’y avait vraiment pas beaucoup de chances que ce soit un cancer. Heureusement pour moi, elle m’a quand même prise au sérieux et j’ai reçu un appel téléphonique pour aller à l’hôpital quelques jours plus tard. Quand j’ai eu mon rendez-vous, et devant mon questionnement de voir autant de jeunes femmes dans la salle d’attente, l’infirmière de la Clinique du sein m’a indiqué que de plus en plus de jeunes femmes étaient diagnostiquées avec un cancer du sein. Ça m’a choquée.
Ma mammographie est sortie normale. C’est lors de l’échographie que les médecins ont vu quelque chose : même moi, je voyais des boules noires à l’écran. J’ai remarqué que la technicienne ralentissait et prenait des mesures. À ce moment-là, j’ai su qu’il y avait un problème. En fait, je le savais déjà, mais ça s’est concrétisé à ce moment. J’étais silencieuse, mais dans ma tête, c’était une tornade. Je savais qu’on allait m’annoncer un diagnostic. Cette attente avant le rendez-vous où on apprend la nouvelle, ça a été la pire.
Arrive enfin le moment de ce rendez-vous à l’hôpital du Saint-Sacrement à Québec. La sécurité ne voulait pas laisser passer mon conjoint. On savait qu’on allait recevoir une mauvaise nouvelle et il voulait être avec moi, mais comme c’était le début de la COVID, tout le monde paniquait. Une infirmière s’est interposée et a convaincu le gardien de laisser mon conjoint passer. Elle a perçu ma détresse.
Lorsqu’on m’a annoncé le diagnostic, même si j’avais une voix qui me disait que ça allait être correct, je n’étais pas surprise. C’était un stade 3 avancé localement.
Après l’annonce du diagnostic, j’ai eu un arrêt de travail d’une semaine. Ensuite, j’ai décidé de travailler de chez moi à temps partiel jusqu’en juillet principalement pour me changer les idées et m’occuper.Par contre, j’ai dû mettre un frein, car je suis devenue trop épuisée pour continuer à ce rythme.
Dans mon cas, nous avions deux enfants qui avaient 4 et 7 ans à l’époque. Je devais gérer l’école à la maison d’avril à juin, puis on a ensuite déménagé en juin 2020. C’était une dure période, même si on a eu la chance d’avoir beaucoup d’aide de nos familles et amis.
Mon conjoint ne montre pas beaucoup ses émotions et moi non plus. On est plutôt des personnes discrètes et on n’exprime pas facilement nos sentiments. En fait, je suis très émotive, mais les mots ne sortent juste pas. Ça m’a pris une semaine après le diagnostic, avant de pouvoir en parler à certaines personnes de notre entourage. J’ai trouvé ça dur de l’annoncer parce que je suis très discrète de nature et une nouvelle comme celle-là, ça vient diriger l’attention vers nous. J’ai détesté ça.
On l’a annoncé aux enfants beaucoup plus tard. On ne savait pas trop comment leur dire, on voulait éviter qu’ils associent cette annonce à la mort. Je ne savais même pas s’ils avaient déjà entendu parler de cancer. On a essayé de faire en sorte que ce ne soit pas trop dur pour eux, ni trop choquant. Par exemple, pour mes cheveux, quand mon chum m’a rasé la tête, on était avec eux. On a fait ça de manière comique pour qu’ils ne s’en rappellent pas comme d’un mauvais moment. Nous avons bien ri et ils me trouvaient drôle avec ma nouvelle tête.
Comme j’avais les cheveux très longs, on les a remis à une association. C’était important pour moi. L’organisme à qui je les ai remis les a utilisés pour créer des perruques pour des jeunes enfants atteints de leucémie. Je trouvais que c’était la bonne chose à faire : je ne me voyais pas jeter ma longue chevelure blonde à la poubelle. Je n’ai pas trop mal pris ça, j’avais un beau look pas de cheveux avec des tuques rigolotes : je ressemblais à un petit lutin.
Mes traitements de chimiothérapie se sont étalés d’avril à septembre 2020 : ça a quand même bien été, mais vers la fin, les quatre derniers traitements étaient plus forts. Il était temps que ça finisse : j’avais l’impression d’être en train de mourir de l’intérieur. J’avais de la difficulté à me déplacer dans la maison et mon corps pesait une tonne. En 2020, j’ai eu un épisode où, psychologiquement, ça allait moins bien. J’ai fait quelques crises de panique sans savoir que c’était ça. La chimiothérapie, j’avais entendu dire que ça pouvait avoir des effets sur le cœur. Alors, quand j’ai appelé mon infirmière, je croyais que c’était ce qui se passait. L’infirmière m’a demandé de prendre mon pouls. Ça m’a fait réaliser que j’étais en panique, sur le coup je n’avais pas réalisé. L’infirmière m’a donc mise sur une liste pour une travailleuse sociale et on m’a contactée peu après. Je ne l’ai jamais vu en personne, mais je lui ai parlé au téléphone à plusieurs reprises et ça m’a fait du bien. Avec du recul, c’était de l’anxiété dû à mon état qui se dégradait.
En octobre 2020, j’ai subi une mastectomie totale d’un sein : ce n’était pas un épisode joyeux, mais ça ne m’a pas tant affecté. Certaines le vivent plus mal que moi, je pense. Ensuite, j’ai eu des traitements de radiothérapie en décembre et en janvier. J’ai refait par la suite de la chimiothérapie orale parce que j’avais encore des cellules cancéreuses présents dans mes ganglions. Je voulais me remettre en forme et recommencer à courir, mais les effets de brûlures (dû à la chimiothérapie orale) sur les pieds et mains on mit un frein à mes ambitions. J’ai trouvé cette période dure et ennuyante, car j’avais retrouvé une partie de mon énergie, mais je ne pouvais rien faire en raison de la douleur. Puis à l’été 2021, c’était terminé.
Durant tout le processus, j’ai été chanceuse, car mes parents et mes beaux-parents étaient très présents pour garder les enfants. Pendant la chimiothérapie, je ne pouvais pas conduire parce que l’équipe soignante me donnait du Benadryl qui m’abrutissait totalement. Le lendemain des rendez-vous, j’étais amorphe, fatiguée. La chimio était à chaque semaine, en plus. Mon médecin m’avait dit que j’avais un traitement intensif parce que j’étais jeune et en bonne forme physique, si on exclut le cancer.
Je n’ai jamais perdu de vue que les traitements, ça reste quelque chose de temporaire. Oui, perdre ses cheveux et ses seins, c’est gros et c’est une grande épreuve, mais il faut garder le moral parce que les cheveux ça repousse, et les seins, ça s’arrange. Je me considère comme résiliente face à ces épreuves, et j’essaye de garder mon optimisme naturel. J’ai eu des bas comme tout le monde, et c’est normal d’en avoir. Et à bien y songer, je trouve que c’est plus dur le après que le pendant.
Personne ne m’a dit clairement : la rémission commence maintenant. J’attendais quelque chose de concret et ce n’est jamais venu, même encore aujourd’hui; je voudrais avoir une date précise, mais n’en ai pas.
J’ai finalement repris le travail en octobre 2021 : la reprise a été très graduelle, j’ai retrouvé mon temps plein en décembre 2021 seulement. Dans mon cas, la chimiothérapie a joué sur ma concentration : la journée où je suis revenue au bureau, je ne me rappelais rien. Ça prend un moment reprendre le rythme. J’ai effectué des recherches sur le chemo brain et dans mon cas, c’est sûr que ma concentration n’est pas revenue à 100%. Je pense aussi que tout le monde réagit différemment aux traitements.
Et donc j’ai décidé de témoigner principalement en raison du ‘’après’’ auquel on ne parle pas souvent, et qui, pour moi, a été plus dur. C’est épeurant quand ils te laissent aller, que ton oncologue te dit : On se revoit dans 6 mois. J’avais peur qu’on ne me rappelle pas, qu’on m’oublie et que le cancer revienne. Je trouve qu’on ne parle pas assez de cette étape qui est pourtant très anxiogène. Ce printemps 2022, j’ai fait une demande de psychologue, car j’allais moins bien (j’avais peur de la récidive) et je l’ai eu, mais je n’avais pas de ressource centralisée ou d’informations claires sur le « après cancer ».
Ça veut beaucoup dire pour moi d’arriver à témoigner aujourd’hui, de raconter mon histoire. Ça fait partie de mon cheminement personnel, car avant, j’avais comme un blocage à parler de tout ça. Une annonce de la Société du cancer passant à la télé pouvait me causer beaucoup d’anxiété, je fuyais tout ce qui me rappelait cette période. Je faisais de l’évitement. J’avais vu les témoignages sur votre site et je les lisais même si ça me causait de grandes émotions. En témoignant, j’ai le sentiment de faire un pas en avant.
Aujourd’hui, j’ai encore peur de la récidive, c’est sûr. Mais ma psychologue m’a beaucoup aidée dans mon processus. Je trouve qu’on ne parle pas assez des personnes qui s’en sortent après la rémission, on parle malheureusement souvent des personnes qui ne s’en sortent pas, ce qui nous laisse un goût amer, comme si la récidive était inévitable alors qu’elle ne l’ait pas du tout. C’est ce que je déplore des ressources que nous avons à notre disposition.Il faut un suivi après les traitements, après les opérations qui déforment inévitablement l’image que nos avons de nous-mêmes, après le retour au travail, après l’entière épreuve qu’une personne atteinte de cancer a su traverser. Le après est laissé de côté et est tout aussi important que le pendant.
Pour l’avenir, évidemment je me souhaite de la santé et une remise en forme. J’étais très active avant mon cancer et je courais notamment. Je parcourais de grandes distances : c’est peut-être pour ça que tout mon parcours m’a fait l’effet d’un vrai marathon et que je me répète encore aujourd’hui, un pas à la fois.