En 2009, j’avais mon rendez-vous annuel avec ma gynécologue. J’avais une petite bosse dans le sein droit, mais je n’étais pas trop inquiète, car j’avais déjà eu des kystes aux ovaires à 16 ans. On les avait retirés et ça avait bien été alors je m’imaginais que la même chose arriverait cette fois-ci.
Ma gynécologue n’était pas inquiète non plus mais elle m’a tout de même remis une ordonnance pour une échographie mammaire, juste pour vérifier. La première année, je n’y suis pas allée, je n’étais vraiment pas stressée avec ça. L’hôpital m’avait même appelé pour me fixer un rendez-vous que je remettais toujours.
Au bout de presqu’un an, j’ai commencé à avoir des débalancements hormonaux : je n’avais plus mes règles, j’avais des poussées d’acné, je transpirais abondamment de l’aisselle du côté de mon sein affecté. J’étais aussi très fatiguée et ça ne me ressemblait pas, car je suis une personne plutôt hyperactive.
Une amie très proche était au courant de mes symptômes et elle a insisté pour que je consulte immédiatement. J’avais mon rendez-vous annuel avec la gynécologue deux semaines plus tard, alors je ne voulais pas en reprendre un. Mais elle insistait, car la bosse avait vraiment commencé à grossir. Je suis donc allée à la clinique où j’ai parlé de tous mes problèmes liés aux hormones. Ils m’ont donné un traitement.
Lors de mon rendez-vous cette fois avec ma gynécologue, je lui parle de mon débalancement hormonal, de ma prescription et de mon sein. Elle m’a dit de ne plus jamais prendre ce traitement et en voyant que mon sein avait commencé à enfler, elle m’a alors fait une ordonnance d’urgence pour une mammographie.
Deux semaines plus tard, j’avais mon rendez-vous. J’étais en chemise bleue dans la salle d’examen lorsque la technicienne est entrée et m’a vue. En constatant mon âge, elle a refusé de me faire l’examen en me disant que j’étais trop jeune et que ça devait être une erreur. J’étais rendue tellement enflée que je pleurais tous les soirs et j’étais incapable de dormir. J’ai soulevé ma chemise pour lui montrer, pour la supplier de m’aider. Elle me dit : « Si tu y tiens absolument, va au privé ». Ça coûtait presque 300 $ pour avoir un rendez-vous dans ce type de clinique. Je suis partie. À l’époque, je n’aurais jamais pensé avoir un cancer, j’étais convaincue que c’était un kyste et qu’on allait m’opérer.
À partir de ce moment-là, j’ai fait le tour de plusieurs hôpitaux : on me renvoyait à la maison ou on me mettait sur des listes d’attente interminables. Un vendredi que je n’oublierai jamais, mon patron de l’époque me voyait souffrir et m’a dit : « Je vais aller te porter à l’urgence de l’hôpital Fleury, y a jamais un chat. » Là-bas, la médecin généraliste qui a pu m’examiner a enfin fait bouger les choses. Quand elle a vu mon sein, elle m’a immédiatement fait une ordonnance pour une échographie en me disant que l’hôpital m’appellerait le lundi matin, à la première heure, pour me fixer mon rendez-vous. C’était vrai et je remercie encore cette femme pour son aide.
J’ai donc eu mon échographie mammaire. Comme j’avais déjà eu des kystes, je savais qu’ils sont normalement liquides et qu’on peut les drainer. Dans la salle d’examen, j’ai entendu la technicienne dire que mon kyste était solide… C’est là que j’ai su. Ils n’ont pas le droit de se prononcer, mais j’avais compris.
On m’a remis un CD sur lequel était la vidéo de mon échographie. Dessus, il était écrit mon nom, ainsi que mon âge : 30 ans. Je me suis dit : c’est ici, à 30 ans, que ça se termine pour moi, déjà?!
Par la suite, on m’a fait une biopsie et au bout de quelques jours, j’ai eu un appel : le médecin souhaitait me rencontrer. C’est ainsi que j’ai rencontré Dr Guy Leblanc, un amour d’oncologue au CRID de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Il était avec cinq médecins résidents lors de notre rencontre, et je savais intuitivement dans mon cœur que c’était un cancer. Cependant, à quel point il était dangereux, je ne m’y attendais pas. Mon cancer était hormonal agressif inflammatoire (carcinome canalaire infiltrant), et s’était déjà répandu dans mes ganglions sous mon bras (stade 3). J’ai reçu mon diagnostic le 17 novembre 2010, la veille de ma fête de mes 31 ans.
Le médecin m’a dit qu’à ce moment, il ne savait pas encore si c’était possible de me sauver : je devais passer un scan pour connaître l’ampleur des dégâts. Le cancer s’était-il déjà rendu dans mon sang ou dans mes os ? Il fallait trouver la réponse et attendre le verdict. C’est à ce moment-là que j’ai vécu ce que j’appelle mon corridor de la mort : les deux semaines les plus longues de ma vie.
Une semaine d’attente a été nécessaire pour avoir mon rendez-vous de scan et une autre pour avoir les résultats. Pendant ces deux semaines, c’est comme si je flottais au-dessus de mon corps. Je suis une personne très nerveuse de nature, mais là, j’étais d’un calme : c’était anormal.
J’avais déjà décidé que si on me donnait de la chimiothérapie uniquement pour prolonger mon existence de quelques mois, j’allais refuser. Juste être rallongée ne m’intéressait pas. J’ai donc fait un genre de pacte avec le destin, en me disant : si j’ai une chance de m’en sortir, je le promets, je vais faire tout ce qu’il faut et je ne me plaindrai jamais.
Le 7 décembre 2010, j’ai commencé ma chimiothérapie. Mon oncologue m’a dit que si j’avais commencé ne serait-ce que trois semaines plus tard, c’était fini pour moi : je n’aurais pas pu m’en sortir.
J’avais négligé une année au complet, le résultat aurait-il été différent si j’avais consulté un an plus tôt? Aurait-on vu une anomalie?
Au total, j’ai eu 28 traitements par intraveineuse, une fois aux trois semaines (6 chimiothérapies et 17 Herceptin). Quand j’ai appris que j’allais perdre mes cheveux 14 jours après mon premier traitement, j’ai été très déçue : j’avais une vraie crinière de lionne. Je n’y croyais pas, je me disais que je serais l’exception. Le 14ème jour, je suis même allée voir mon infirmière-pivot en tirant sur mes cheveux et en lui montrant qu’ils étaient tous solidement attachés à ma tête! Le soir même pendant le souper, j’ai passé la main dans mes cheveux et une poignée s’est détachée. Ça été la pire chose pour moi, ma perte de cheveux. Je ne voulais pas me raser la tête, mais après 3 semaines à en retrouver partout, j’étais résignée. Ma fille a été sous le choc. La première fois qu’elle m’a vue sans, elle a vomi. C’était vraiment très difficile.
Mes traitements se sont vraiment bien passés. Je ne savais pas vraiment ce que c’était à l’époque, mais je réalise avec le recul que j’ai fait de la visualisation durant cette période. Pendant ma chimiothérapie, je m’imaginais que le médicament qu’on m’injectait était comme des vitamines, du bonbon pour mon corps. Quand j’ai commencé mes traitements, je n’ai jamais pensé que j’allais mourir : Je m’étais mise en mode guérison. J’étais comme une guerrière : je continuais à travailler et à m’occuper de ma fille. D’ailleurs, je n’ai jamais été malade ou affaiblie durant toute ma chimiothérapie.
Au bout d’un an et demi, on m’a annoncé que la date de ma chirurgie approchait. On allait me faire une ablation radicale : il fallait enlever le sein complètement. Avant l’ablation, j’étais allée voir sur Internet (ce qu’il ne faut jamais faire!) et j’ai vu des images horribles : une boucherie pleine d’agrafes. Je suis arrivée au bon moment, car la technologie avait beaucoup évolué entre ce que j’ai vu et ce qu’ils m’ont fait. Je n’ai eu qu’une toute petite cicatrice! Une heure après m’être réveillée de l’opération, le personnel voulait me donner mon congé, mais ma mère a insisté pour qu’ils me gardent 24 heures.
J’ai ensuite commencé la radiothérapie qui, habituellement, dure quelques minutes par jour. Dans mon cas, j’ai eu des traitements 5 jours par semaine, 5 semaines consécutives, à raison de 15 minutes par jour. La radiothérapie brûle de l’intérieur vers l’extérieur. Donc plus les traitements avançaient et plus les brûlures étaient prononcées. Ceci a été une épreuve difficile. L’équipe soignante me donnait un dérivé de morphine pour que je puisse tenir le temps requis. Encore là, j’ai voulu voir ça positivement et avant chaque traitement, je m’approchais de la machine que j’avais baptisée Lily, pour l’humaniser un peu. Je lui disais : « Ma belle Lily, toi tu vas me donner de l’énergie. ». Je ne sais pas si c’est resté, mais l’équipe de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont m’avait dit à l’époque qu’ils allaient baptiser Lily, la machine de radiothérapie.
J’ai dû attendre une bonne année pour ma chirurgie de reconstruction, qui a été réalisée par Dre Michèle Tardif, une excellente chirurgienne. J’ai opté pour une reconstruction autologue avec le lambeau D.I.E.P. Mon nouveau sein, je l’adore, peut-être même plus que l’autre! Je n’ai pas fait faire le mamelon en tatouage, je l’aime comme ça. Plus en détails, mon opération a duré 10 heures et deux jours après, je faisais du hula hoop dans le couloir de l’hôpital avec les infirmières.
Ce qui est fou, c’est que la première année lorsque j’ai remarqué mes symptômes, j’ai toujours continué à penser que c’était un kyste. Même ma gynécologue n’était pas inquiète (en grande partie en raison de mon âge). Et moi, j’avais 30 ans, alors je me disais que j’avais autre chose à faire que d’aller passer une échographie mammaire pour un simple kyste.
Jamais je n’avais entendu parler de l’observation des seins. Le plus dérangeant dans tout ça, c’est la technicienne qui m’a refusé l’examen. Je portais du 36C d’un côté et mon autre sein, celui qui était enflé, ne rentrait pas dans du DDD. C’était évident qu’il y avait un problème!
En 2010, c’était le début des programmes de soutien pour les femmes atteintes de cancer du sein. Je me souviens m’être rendue dans une boutique pour m’acheter une perruque et il n’y avait rien en bas de 1500 à 2000 $ à l’époque. Ma travailleuse sociale m’a trouvé toute l’aide qu’elle a pu. J’ai eu quelques exemptions de frais qui m’ont beaucoup aidé.
Ma rémission est terminée et je suis guérie. Lorsqu’on m’a retiré le sein, on m’a dit qu’il n’y avait plus aucune trace de cancer et que le résultat était spectaculaire. Bien sûr, encore aujourd’hui, quand je sens ou vois quelque chose, je doute et je me demande si le cancer est revenu. J’appelle alors mon infirmière-pivot et on me rappelle toujours le jour même, ou le lendemain. J’ai une équipe en or en oncologie et je continue de faire une mammographie par année.
C’est important pour moi de sensibiliser à mon histoire, car un cancer du sein à 30 ans, malheureusement ça arrive. Observer tes seins, ça peut sauver ta vie.