Le 3 mars est la journée mondiale du cancer du sein triple négatif (CSTN). Dans cet article, nous allons décrire les dernières avancées en recherche sur le CSTN.
Le cancer du sein le plus commun est hormono-dépendant, c’est-à-dire qu’il est réceptif à l’œstrogène et | ou à la progestérone (ER+ et | ou PR+). Le deuxième type le plus fréquent est le cancer du sein HER2 positif, qui a la particularité d’avoir une quantité importante de copies du gène du récepteur 2 du facteur de croissance épidermique humain (HER2).
Le cancer du sein triple négatif ne possède aucun de ces trois récepteurs (ER-, PR-, HER2-), d’où son nom. C’est pour cela aussi que le CSTN ne répond pas aux thérapies hormonales ni aux traitements ciblant HER2.
Le cancer du sein triple négatif en rafale
Quel sont les traitements du CSTN?
L’une des principales problématiques du CSTN est qu’il n’existe pas une variété d’options thérapeutiques, comparativement aux autres types de cancers du sein, ce qui le rend plus difficile à traiter.
À la suite d’analyses de tumeurs « triple négatives », il a été découvert que le CSTN est davantage catégorisé en 6 sous-types moléculaires, et que chaque tumeur possède des caractéristiques qui lui sont propres, ce qui complexifie d’autant plus le développement de thérapies.
Heureusement, la science et les recherches sur le CSTN portent leurs fruits et une meilleure compréhension de la maladie permet d’envisager des traitements plus personnalisés et plus ciblés. Voici quelques exemples des dernières avancées qui ont considérablement amélioré le pronostic du CSTN.
Les inhibiteurs de PARP
Des études ont révélé que certains types de CSTN sont associés à des mutations du gène BRCA1. Cette découverte a ouvert le chemin vers des thérapies conçues spécifiquement pour cibler les responsables de ces mutations, telles que les composés qui bloquent la PARP (une enzyme impliquée dans le processus de restauration de l’ADN). Ce type de thérapies ciblées est de plus en plus exploré pour traiter les CSTN.
L’olaparib (Lynparza) a été le premier inhibiteur de la PARP par voie orale approuvé par Santé Canada. Il peut être utilisé comme traitement adjuvant du CSTN précoce à haut risque de récidive pour les personnes porteuses d’une mutation en BRCA. Depuis l’automne 2023, il est accessible au Québec.
L’immunothérapie
Une autre avenue prometteuse est celle de l’immunothérapie. Ce type de traitement vise à utiliser le système immunitaire afin de détruire les cellules cancéreuses.
En étudiant de près le microenvironnement de tumeurs « triple négatives », des chercheurs ont observé que les lymphocytes T et B (type de globules blancs chargés de la défense immunitaire) ne répondaient pas adéquatement à la menace du cancer. Les scientifiques essayent de les réactiver pour accomplir leur travail immunitaire. Par exemple, les thérapies appelées inhibiteurs de point de contrôle (des anticorps monoclonaux), qui ciblent des protéines spécifiques (de la voie PD-1 / PD-L1), empêchent les tumeurs d’échapper au système immunitaire. Ce type de thérapies a révolutionné le traitement de certains CSTN. Au cours des dernières années, le pembrolizumab (Keytruda), un inhibiteur de point de contrôle associé avec la chimiothérapie, a été approuvé au Canada pour traiter le CSTN de stade précoce à risque élevé, localement récurrent non résécable, ou métastatique, qui expriment la protéine PD-L1.
L’approche vaccinale est également évaluée par de nombreuses études cliniques. Une société de biotechnologie basée en Californie a notamment développé un vaccin conçu pour déclancher une réponse immunitaire ciblant la destruction des cellules du CSTN. Une étude clinique de phase 1 portant sur 16 participantes a consisté à administrer 3 doses du vaccin à 2 semaines d’intervalle. En décembre 2023, les résultats de l’essai clinique ont révélé que la majorité des patients avaient développé des réponses immunitaires significatives et que vaccin était sûr et bien toléré. Les prochaines phases de l’étude permettront de fournir de plus amples renseignements sur l’efficacité et la dose optimale du vaccin. Ultimement, l’objectif de ce vaccin serait de prévenir la récidive du CSTN, et potentiellement même de prévenir son apparition initiale.
Les anticorps conjugués
Ce type de traitement consiste à envoyer l’agent chimiothérapeutique directement dans la cellule tumorale, grâce à un anticorps qui va se lier spécifiquement à la cellule cancéreuse, et ainsi permettre la destruction de son ADN. La chimiothérapie va donc cibler les cellules tumorales uniquement et épargner les cellules saines, diminuant ainsi les effets secondaires du traitement.
Depuis 2021, un anticorps-conjugué, le sacituzumab govitecan (Trodelvy), a été approuvé par Santé Canada pour les personnes touchées par un CSTN, non-résécable, métastatique et après 2 lignes de traitement. Ce traitement cible Trop-2, une protéine présente à la surface des cellules cancéreuses impliquée dans plusieurs processus cellulaires régulant la croissance et l’invasion du cancer.
Le datopotamab deruxtecan (Dato-DXd) est un autre anticorps conjugué conçu pour cibler la protéine Trop-2. Le durvalumab (Imfinzi), quant à lui, est une immunothérapie qui agit en collaboration avec le système immunitaire pour détecter et éliminer les cellules cancéreuses. L’essai clinique international randomisé de phase 3 TROPION-Breast04, dont le lancement a été annoncé en novembre 2023, portera sur 1700 participantes atteintes de cancers du sein dans le monde, dont le CSTN. La première participante de cette étude a été recrutée à Montréal. Cet essai clinique évaluera si l’association de ces molécules en traitement néoadjuvant suivi d’un traitement adjuvant du Imfinzi, avec ou sans chimiothérapie, est plus efficace et sûr que les traitements existants pour les personnes atteintes de CSTN de stade 2-3.
HER2-faible
On estime que 60 % des patientes précédemment classées comme ayant un sous-type HER2-négatif pourraient en fait être considérées comme ayant un HER2-faible, ouvrant la voie à de nouvelles options de traitement, dont les anticorps conjugués.
Le trastuzumab deruxtecan (Enhertu) est un nouveau traitement combinant un anticorps anti-HER2 (le trastuzumab, médicament déjà connu et utilisé pour HER2+) conjugué à une molécule cytotoxique (le deruxtecan) pour les patientes atteintes d’un cancer du sein ne présentant qu’une faible surexpression du récepteur HER2.
Pour les patientes dont le cancer était jusqu’ici considéré « triple négatif » (HER2- /HR-) mais qui seraient en réalité HER2-faible / HR-, une étude préliminaire a révélé des résultats encourageants avec l’utilisation du Enhertu par rapport à la chimiothérapie. Mais ces résultats sont exploratoires et de plus amples études sont nécessaires à ce sujet.
Des projets à suivre
La Fondation cancer du sein du Québec finance des projets prometteurs qui visent entre autres à multiplier les options de traitement. Voici quelques exemples de projets co-financés en cancer du sein triple négatif :
La biobanque du cancer du sein (co-financement Fonds de Recherche du Québec – Santé [FRQS])
La Fondation cancer du sein du Québec cofinance une biobanque, qui permet de conserver des données et du matériel biologique (tissus, prélèvements sanguins, etc.) de milliers de personnes atteintes de cancers du sein. Ces données et échantillons demeurent disponibles aux chercheurs durant plusieurs années. Cet outil de partage facilite considérablement l’étude et la compréhension de la maladie, dont le CSTN, et permet le développement de nouvelles approches thérapeutiques plus ciblés.
Cinq centres participent à la collecte d’échantillons biologiques de cancer du sein à travers la province. Depuis sa création par le Dre Anne-Marie Mes-Masson, des dizaines de projets de recherche ont utilisé des échantillons provenant de cette biobanque, dont plusieurs en lien avec le CSTN. Soulignons notamment la découverte des mécanismes d’action permettant aux tumeurs ”triple négatives” d’échapper au système immunitaire par l’équipe du Dre Park.
Pour en apprendre davantage sur la biobanque du cancer du sein, nous vous invitons à consulter notre billet de blogue intitulé Connaissez-vous l’importance d’une biobanque? Vous pouvez également visionner la vidéo du Dre Anne-Marie Mes-Masson intitulée La Biobanque et son importance en recherche clinique.
Développer un nouveau médicament contre les cancers du sein « HER2+ » et « triple-négatif » – Dr Jerry Pelletier (co-financement Institute for Research in Immunology and Cancer – Commercialization of Research [IRICoR])
L’ARNm (une sorte de photocopie de l’ADN) permet la fabrication des protéines par ce qu’on appelle un processus de traduction. Pendant cette manœuvre, des altérations peuvent survenir, causant la prolifération anormale de la cellule. Le travail de l’équipe du regretté Dr Pelletier se situe au niveau de ce processus et les chercheurs ont découvert des composés chimiques capables de stopper ces altérations, empêchant ainsi la prolifération tumorale et les métastases.
Le prochain objectif est de développer ces composés chimiques en médicaments et de vérifier leur efficacité sur les cancers du sein HER2+ et triples négatifs. Ce projet permettra d’élargir l’arsenal de traitements disponibles pour traiter le cancer du sein.
Une nouvelle boîte à outils pour étudier le rôle des galectines – Dr Yves Saint-Pierre (co-financement Consortium québécois sur la découverte du médicament [CQDM])
Les galectines sont une classe de protéines possédant des propriétés immunosuppressives (qui empêchent l’activation du système immunitaire) et qui sont exprimées à des niveaux anormalement élevés dans les cellules tumorales associées à plusieurs cancers, dont le CSTN. Les cellules échappent alors au système de défense de l’organisme et se développent. L’équipe du Dr Saint-Pierre cherche à développer une boîte à outils visant à freiner spécifiquement l’action des galectines, ce qui permettrait dans le futur de développer des traitements ciblés et d’offrir plus d’options aux personnes atteintes de la maladie.
Consultez le rapport d’impact de la Fondation cancer du sein du Québec pour découvrir encore plus de projets prometteurs !
Les personnes intéressées à participer à un essai clinique peuvent en parler avec leur médecin. Apprenez-en davantage sur les essais cliniques.
Références
- BCRF. Treating Triple-Negative Breast Cancer: Recent Progress and What’s to Come. Breast Cancer Research Foundation. Published January 20, 2021. Accessed February 25, 2021. https://www.bcrf.org/sabcs-2020-triple-negative-breast-cancer-treatment-updates
- Kimmons L. Advances in BRCA-associated and triple-negative breast cancer treatment and understanding | MD Anderson Cancer Center. Accessed February 25, 2021. https://www.mdanderson.org/publications/cancer-frontline/2020/05/asco-studies-show-advances-in-treatment-and-understanding-of-brca-associated-and-triple-negative-breast-cancer.html?_ga=2.209600978.1506952407.1613750653-1686389815.1613750653
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- Anixa Biosciences and Cleveland Clinic Present Positive New Data from Phase 1 Study of Breast Cancer Vaccine,https://ir.anixa.com/press-releases/detail/1030/anixa-biosciences-and-cleveland-clinic-present-positive-new