Après des mois d’angoisses professionnelles et l’agonie de ma mère, enfin soulagée par la fin des tracas, une nouvelle page de ma vie s’ouvre. Alors surgit l’imprévisible: la sensation d’une boule dans le sein gauche. Le 28 février 2014 tombe un diagnostic sans appel: cancer. La tumeur «is not the worst» rassure un assistant du Dr Fleischer après la biopsie. Il faut la réduire par chimiothérapie. Dr Mihalcioiu, assisté par Nancy Lee-Brown, infirmière-pivot, pleins de sollicitude, insistent sur la confiance entre médecin et patient, ajoutent «think positive» et demandent si je suis bien entourée. Je pense bénéficier d’un bon réseau et préviens famille et amis:
Les biopsies ont confirmé l’hypothèse. Reste à suivre un processus qui va s’échelonner sur six mois comme l’ont si bien fait avant moi tant de personnes. Toutes et tous m’ont montré, par leur exemple, comment gérer sereinement les aléas de l’existence. Je les en remercie et espère imiter leur modèle de lutte contre la Bête. De mon côté, participer – un tout petit peu – aux souffrances de ce monde m’ouvre, de gré ou de force, à la solidarité avec ceux qui peinent et pensent les uns aux autres. Je suis sûre de votre affection et de vos bonnes pensées.
27 mars 2014 – Première chimio
Marjolaine, chaleureuse infirmière, munie d’un casque de cosmonaute, me fait vérifier que des sacs (rouge ou incolore) me sont bien destinés. Elle enfonce l’aiguille. Le liquide entre. J’ai très soif et vide ma bouteille d’eau. Une épouvantable colique se manifeste. Pas évident.
D’autres patients arrivent. Deux femmes élégantes, sans âge, puis un homme que je crois être Autochtone, accompagné d’un ami. Il me fait penser à une prière amérindienne. Vers 11h30, mon corps a absorbé le contenu des sacs et je suis libérée, munie d’un «passeport en oncologie» et sa liste des prochains rendez-vous. Retour à la maison où je prépare le repas. Repos et sensation (heureuse) que ça travaille dans le sein gauche.
8 avril – Au théâtre de l’urgence de l’ancien Royal Victoria
12h – Mon mal de dents s’aggrave. 15h, 38.3°. Chiffre fatidique pour l’urgence. Sur place, mon regard égaré attire l’attention d’une dame qui m’indique la file de «triage». Munie du n° 82, je m’assois et lis les affiches prévenant (avec euphémisme) qu’on pourrait attendre longtemps. À côté de moi, une patiente agitée est escortée d’une calme «préposée». Plus loin, des jeunes femmes à foulard sont escortées de leur mari. Je suis touchée par le regard de tendresse d’un barbu lorsqu’il regarde sa conjointe. Les gens sont de toutes les couleurs et leurs maux, invisibles. On dirait que la communauté de la souffrance et de l’angoisse fait fondre les a priori xénophobes.
Attente. L’appel au triage semble suivre deux ordres: celui des urgences et celui des numéros. Le défilé des grosses urgences se manifeste par l’entrée régulière de brancards. On imagine un drame dans chaque chariot: accident de la rue, de la route ou du travail, problème cardiaque, blessures…
17h – On appelle le 82. Une préposée prend ma température tombée à 37.2°. J’ai l’air saugrenu. À la vue de mon passeport, elle téléphone à qui de droit et me dit d’attendre. Au passage de chaque brancard, on range ses pieds. Un trio masculin s’agite bruyamment. Une dame et un monsieur conversent. Je crois comprendre que le monsieur est Ontarien et qu’il a choisi de vivre au Québec à cause de la meilleure couverture sociale. Ils passent aux commentaires politiques et ne sont pas d’accord. La dame bat en retraite.
18h – Dre Véronique Homier, sympathique, fraîche et pimpante, vient me chercher. Inspection de la bouche. Présomption d’abcès. Il faut que je voie un dentiste et porte un masque.
19h – Une dentiste vient me chercher. À travers les labyrinthes du «Royal Vic» (on dirait Poudlard, le collège de Harry Potter) elle me guide vers la clinique de «dentisterie» déserte à cette heure. Radio de la gencive coupable. Examen: c’est un abcès. Extraction nécessaire. Quel est le meilleur moment? Elle me quitte après avoir remis son rapport à l’urgentiste et part en me serrant la main très chaleureusement.
21h – Prise de sang et antibiotiques. Seule (enfin!) je lis allongée sur le brancard et m’endors.
22h45 – La famille s’inquiète et téléphone.
23h – Docteur H. (qui maintenant semble fatiguée) me dit que le pharmacien de garde va venir avec ce qu’il faut pour renforcer mes globules blancs. On ne peut pas extraire ma dent avant que leur niveau remonte. Un infirmier arrive avec d’autres antibiotiques.
Minuit – La pharmacienne m’explique l’ordonnance. Je suis de plus en plus fatiguée et ma capacité de compréhension tourne à la stupidité. Vers une heure du matin je peux partir. L’épisode aura duré 9 heures.
22 avril – Lettre aux amis
Après des péripéties dentaires qui ont ralenti le processus des chimiothérapies, je reprends cette semaine le chemin de l’hôpital. Pour la forme physique, ça va bien dans les limites du possible. Comme nous n’avons ni ascenseur, ni aide-ménagère, les activités physiques sont au rendez-vous, rythmées par les nécessités quotidiennes si je veux manger et ne pas vivre dans un chenil. Mes cheveux tombent comme les poils de chiens huskies dans un intérieur chauff). Dany me les a rasés. La salle de lavage étant au sous-sol, et nous au 3e, je n’ai pas besoin de me déplacer au gymnase pour monter des escaliers fictifs. Et vous, que devenez-vous? Je sais que plusieurs ont bien des défis à relever: santé personnelle, parents âgés, enfants, petits-enfants, profession (ou bénévolat soutenu), amis en détresse, dans un contexte logistique difficile: soyez sûr.es que je pense à vous très fort, surtout lors de mes petits moments angoissés, voire souffrants. (Cécile: les respirations que tu m’as enseignées me sont d’une très grande aide.)
Dentiste, oncologue, chimio: chaque jour réserve son rendez-vous et ses imprévus. La bonne surprise, ce sont vos attentions, vos repas tout préparés et vos petits mots ainsi que les lectures suggérées par vos bons soins. Il ne m’en faut pas trop, car ma capacité de concentration est très limitée. Pendant les premières séances à l’hôpital, j’ai lu Sous l’arbre à palabres de Boucar Diouf. J’ai en réserve une pile de romans.
Intérieurement, j’aime les prières autochtones qui me soufflent des mots de bonheur et de joie à travers la nature et les arbres, les points cardinaux et les quatre éléments. Ce qui n’empêche pas les sautes d’humeur!
Jamais je n’aurais cru qu’on pouvait être aussi fatiguée, mais comme on dit au Québec: «lâchons pas la patate !»
Ça durera un an et demi!
Grand Esprit, nous te remercions pour tous les gens et toutes les choses qui nous réchauffent le cœur. Envoie-nous les brises chaudes et apaisantes du sud. Remplis-nous de compassion pour faire fondre la glace qui a pu se former autour de notre cœur.